Il faut ajouter à cela une colère qui couvait depuis des mois parmi les étudiants et les retraités contre l’inflation, le prix de l’essence et l’inaction du gouvernement. Mais l’étincelle est venue des iraniennes.
Depuis le décès de la jeune femme de 22 ans, arrêtée pour avoir porté des «vêtements inappropriés» à Téhéran, des manifestations ont lieu un peu partout dans le pays pour dénoncer la brutalité de la police des mœurs et le joug quotidien imposé aux femmes. On découvrent donc des images de femmes dansant sans voile ou se coupant les cheveux en public qui illustrent bien la cristallisation autour du foulard.
Des ayatollahs qui ont peur des femmes
À travers le cas tragique de Mahsa Amini, les Iraniennes partagent une frustration immense, liée à leur mise à l’écart délibérée, accentuée depuis l’élection du président Ebrahim Raïssi l’an dernier. Farid Vahid, spécialiste de l’Iran à la Fondation Jean-Jaurès, explique que «les femmes ont accès à l’éducation, sont majoritaires à l’université, même dans des disciplines comme les études d’ingénieur. Elles sont présentes dans la société civile, dans les entreprises, mais disparaissent en haut de la pyramide. Les postes à la tête des grandes entreprises sont réservés aux hommes». Azadeh Kian, directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes à l’université Paris Cité, ajoute que «le régime a peur des femmes, a peur de leur mouvement collectif. Mais le fait que des jeunes hommes participent à ces manifestations est le signe d’un changement culturel important».
Un régime peu soutenu
La sociologue franco-iranienne insiste sur le fait que «c’est la première fois que les Iraniennes sont sur le devant de la scène contestataire et qu’elles osent attaquer de façon collective un symbole fort du régime – le voile islamique obligatoire – autour de revendications propres comme la liberté, la liberté de se vêtir…». La volonté de réclamer l’abolition du voile revient donc à s’attaquer directement au pouvoir islamique, qui en avait fait son emblème idéologique dès le début de la révolution en 1979. «Les ultraconservateurs disent que si on lâche ça, on ira jusqu’au mariage homosexuel, résume Farid Vahid. C’est tout le paradoxe de ce régime: ce n’est plus une république islamique. Les Iraniens sont moins pratiquants et moins religieux qu’avant la révolution. Et seule une petite minorité soutient cette loi. »
Toutefois, il n’y a pas d’opposition politique structurée
La question qui se pose est de savoir ce que pourraient espérer les femmes en Iran après ces manifestations? En effet, sans parti d’opposition, y aura-t-il un effet sur l’actuel régime? Pour Azadeh Kian, «Tout dépendra de l’extension du mouvement. Pour que les choses évoluent, il faudrait un changement de régime de fond en comble, ce que je ne vois pas arriver, car il n’y a pas d’alternative politique sérieuse. Mais les femmes peuvent faire en sorte de modifier des lois, comme abolir la police des mœurs.» Une revendication reprise par des figures réformistes, comme l’ayatollah Zanjani à Qom, hostiles à l’idée de faire accepter le voile par la violence.