La France est mise à l’honneur cette année. Le prix Nobel de physique a été décerné au français Alain Aspect, les jurés de l’Académie suédoise ont choisi de sacrer ce jeudi 6 octobre, Annie Ernaux, faisant d’elle la première Française à obtenir le Nobel de littérature. Interrogée par la télévision suédoise SVT, elle considère cette récompense comme un «très grand honneur» et une «responsabilité». Elle a ajouté: «C’est à dire de témoigner (…) d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde».
Peu connue du grand public, pourtant une des plus grandes romancières françaises
Âgée de 82 ans, sur les 114 auteurs à avoir reçu le prix Nobel de littérature, elle est la dix-septième femme qui l’a obtenu depuis 1901. Le dernier Français en date à avoir reçu la récompense était Patrick Modiano en 2014 et avant lui, Le Clézio en 2008. Sur les dix derniers prix, cinq étaient européens, quatre étaient des femmes. L’Académie couronne une auteure qui «examine constamment et sous différents angles des vies marquées par les disparités, à savoir: le genre, la langue et la classe sociale». Dans un communiqué officiel, le Président de la République a félicité Annie Ernaux, voix «de la liberté des femmes et des oubliés du siècle».
Née en 1940 à Lillebonne en Seine-Maritime, Annie Ernaux a grandi au cœur du pays de Caux, à Yvetot, où ses parents tenaient une petite épicerie faisant aussi office de débit de boissons. De cette Normandie semi-rurale, de ses origines modestes, elle aura tiré une vingtaine d’ouvrages singuliers, à l’«écriture blanche», au style dépouillé, sec, dont certains ont rencontré un vaste succès, illustrant une vie fortement marquée par sa condition d’origine et les traces de son passé.
Un succès tardif
«C’est un auteur qu’on approche essentiellement par le biais sociologique. Elle possède une écriture très resserrée et maîtrisée. On est dans la perspective d’une femme. C’est une écriture féministe, les femmes se reconnaissent dans Annie Ernaux car elle leur parle de choses dont les hommes ne peuvent pas leur parler.» Elle poursuit: «C’est une écriture de la juxtaposition qui défait la phrase, ce qui est lié à la violence qu’elle met en évidence, qui produit quelque chose comme des rencontres qui peuvent aller jusqu’à des fulgurances poétiques. Dans “La Place”, elle évoque le café paternel, des verres, un client dans la coulée de la lumière… Il y a quelque chose de mélancolique et de saisissant. En ce sens, ses images sont très photographiques.», expliquera Dominique Barbéris, auteur d’une étude de style sur Annie Ernaux.
Son premier succès en librairie viendra en 1984 avec La Place, qui remporte le prix Renaudot. Roman aujourd’hui étudié comme un classique au Collège. Un récit intime sur son enfance et sa jeunesse normandes. En 1992, la parution de Passion simple marque un tournant. Annie Ernaux y dévoile, sans détours, sa brève et passionnée liaison amoureuse avec un homme marié, un diplomate russe en poste à Paris. Si la critique est partagée, l’accueil du public est unanime. Depuis, l’auteure est revenue sur le motif, en publiant Se perdre, livre constitué d’extraits bruts de son journal, «cru et noir», tenu à cette époque. Relevons également Les Années, «roman total» qui remonte toute son œuvre dans le temps et qu’elle qualifiera de «sorte d’autobiographie impersonnelle». Une œuvre qui s’est ouverte avant l’heure, alors qu’elle avait 22 ans, et confiait dans ses carnets intimes : «J’écrirai pour venger ma race.»
Qu’elle est sa race?