Dernière en date: la Fédération française de rugby a annoncé travailler sur l’inclusion des mineurs transgenres dans la catégorie de leur choix, non sans débats.
Comment accueillir les personnes trans – celles qui veulent vivre sous un genre différent du sexe assigné à leur naissance – dans le secteur sportif ?
Ce 27 janvier 2022, l’interrogation est au cœur de la table ronde organisée par le master « Égalité dans et par les activités physiques et sportives », à l’Université Lyon 1. Ouvert en 2016, ce diplôme « unique en France » vise à former les étudiants sur les questions de discriminations dans le sport. Parmi les invités ce jour-là, Félix Pavlenko, doctorant en études de genre actuellement en thèse sur les conditions de pratique du sport par les personnes trans, ou Luhan Steinmann, coach sportif spécialisé dans les problématiques liées à la transidentité. « Initialement, ce sujet ne figurait pas dans le contenu de nos cours. Mais l’intégration d’une personne trans dans le master a contribué à renforcer notre vigilance et à le faire évoluer », développe Cecile Ottogalli, responsable de la formation.
En France, bien qu’il soit impossible de quantifier le nombre d’athlètes trans, la question de leur inclusion prend de l’ampleur. « On voit apparaître des personnes, parfois mineurs, qui souhaitent jouer dans les catégories du sexe opposé », relate Jean-Bernard Moles, président de la commission anti-discriminations et égalité de traitement à la Fédération française de rugby (FFR). Au point qu’elle travaille actuellement sur une réforme de ses règlements, pour permettre aux transgenres, une fois leurs 13 ans révolus, de pouvoir intégrer la catégorie du genre choisi.
De son côté, le ministère des Sports a constitué un groupe de travail pour actualiser la charte « sport et trans » de 2016, destinée à promouvoir leur accueil. Une loi du 2 mars dernier, elle, prévoit de favoriser « un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur l’identité de genre ». « C’est la première fois qu’on accorde une place aussi importante à la lutte contre toutes formes de discriminations, au premier rang desquelles figure la transphobie. C’est un véritable progrès », se félicite Raphaël Gérard, député LREM de la 4ème circonscription de Charente-Maritime, porteur de ce sous-amendement.
Mais les pistes pour l’inclusion de ces personnes font débat
La charte « sport et trans » invite par exemple à « partir du principe que chacun.e choisit les toilettes/douches/vestiaires qui lui conviennent le mieux, et accepter qu’on ne peut déterminer le genre d’une personne sur la base de sa seule apparence ». « Cela représente un vrai problème pour l’intimité, affirme Olivia Sarton, avocate et membre de Juristes pour l’enfance, une association proche de la Manif pour tous. Une femme trans n’est pas forcément opérée, et se retrouver avec quelqu’un qui a un pénis peut gêner les autres femmes ». Plus fondamentale, l’autorisation des personnes trans à jouer dans la catégorie de leur choix, comme le préconise également la charte, pose « la question de l’équité, notamment au regard des capacités physiques », poursuit l’avocate.
Le 17 mars dernier, Lia Thomas a en effet défrayé la chronique, en devenant la première femme transgenre à remporter la finale du 500 yards nage libre du championnat universitaire de l’Ivy League, aux États-Unis. « Même si elle a pris un traitement hormonal de suppression de testostérone pendant un an comme l’exigeait le règlement, elle est toujours plus grande que ses concurrentes, et a de très long bras », observe Linda Blade, ancienne athlète canadienne, auteure d’Antisportif : Le Transactivisme et l’obscurantisme à l’assaut du sport féminin (2021). « Biologiquement, Lia détient un avantage injuste sur la concurrence dans la catégorie féminine, comme en témoigne son classement, qui est passé du rang 462 en tant qu’homme à la pole position en tant que femme », avait également commenté Nancy Hogshead-Makar, médaillée d’or olympique de natation en 1984 et directrice de Champion Women, une organisation de défense du sport féminin.
« Dans le sport, le corps ne fait pas tout », oppose Arnaud Alessandrin, sociologue du genre, auteur de Sociologie des transidentités (2018). « Les personnes trans, au-delà du rejet qu’elles subissent, ont des difficultés pour trouver des structures où s’entraîner. Si bien que le nombre de décrochages sportifs est beaucoup plus important chez elles que pour le reste de la population », précise-t-il. Dans une étude menée de mai 2021 à mai 2022, le centre LGBTI+ de Lyon a récolté les témoignages de 58 sportifs transgenres. Parmi eux, 33 confiaient avoir vécu des discriminations dans les clubs qu’ils ont fréquentés. « A cela s’ajoute le fait qu’on s’attarde sur les victoires des athlètes trans. Mais il y en a probablement autant, voire plus, qui perdent », continue Arnaud Alessandrin. Un jour après avoir remporté son titre, Lia Thomas est en effet arrivée cinquième lors du 200 yards. En France, aucun média n’a repris l’information.
« L’équité dans le sport n’existe pas »
Si le sujet divise autant, c’est aussi parce que les travaux scientifiques sont peu nombreux. En 2015, après sept ans de recherches, la physicienne médicale Joanna Harper, également transgenre, publie une première étude dans laquelle elle démontre que huit femmes trans courent moins vite que lorsqu’elles étaient des hommes, à une exception près. Avec une limite majeure : les temps soumis par les huit coureuses ont été auto-déclarés. Dans un entretien à TV5 Monde, la chercheuse rappelle par ailleurs que « les femmes transgenres sont en moyenne plus grandes et plus fortes que les femmes cisgenres [NDLR : dont le genre est en accord avec leur sexe] », bien que cela ne soit pas un avantage dans tous les sports.
En 2020, à l’appui d’autres études, la fédération internationale de rugby déconseille aux femmes transgenres de concourir dans les catégories féminines. « Les recherches concluent systématiquement que la masse totale, la masse musculaire et/ou la force sont diminuées tout au plus de 5 à 10% lorsque la testostérone est réduite pendant douze mois à des niveaux habituellement rencontrés chez les femmes », indique le communiqué. « Ces arguments sont des prétextes pour ne pas inclure les personnes trans », tonne Béatrice Barbusse, vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball, où une commission médicale se penche actuellement sur la question. « L’équité dans le sport n’existe pas. Dans les équipes féminines, certaines sportives font 1,80 mètre, d’autres 1,60 mètre, et pourtant on ne les sépare pas », illustre-t-elle. « Le problème des études sur lesquelles se base World Rugby, c’est qu’aucune n’est faite sur des athlètes trans », complète le sociologue Félix Pavlenko. Pis : dans le cas de celle réalisée par Emma Hilton, un conflit d’intérêt éventuel apparaît. La biologiste du développement à l’Université de Manchester est en effet l’une des fondatrices de Sex Matters, une ONG britannique qui se donne pour mission « d’aider les gens à être clairs sur la signification et l’importance du sexe dans leurs propres institutions ».
En l’absence de consensus, le Comité international olympique invite depuis le 16 novembre 2021 à établir, par fédération, « des critères d’admissibilité basés sur ce que signifie un avantage déloyal ». En France, la FFR est devenue le 17 mai 2021 la première à autoriser les athlètes transgenres à participer à toutes les compétitions officielles, moyennant pour les femmes un traitement hormonal d’au moins douze mois et un seuil de testostérone inférieur à 5 nanomoles/litre. « On a demandé une étude nationale avec le ministère des Sports pour évaluer l’avantage éventuel qu’elles auraient. En attendant, on privilégie la sécurité des sportives », justifie Jean-Bernard Moles.
À terme, certains préconisent toutefois d’autres formes d’organisation des pratiques sportives
« On prône au maximum la mixité des équipes, comme en ultimate [NDLR : sport collectif qui se joue avec un frisbee], pour éviter justement de genrer », témoigne Manuel Picaud, président de la fondation FIER, une structure qui délivrera en juin prochain un label pour les organisations sportives engagées dans l’inclusion des personnes LGBTI+. Anissia Docaigne-Makhroff, elle, pense au contraire que cette ouverture représenterait « un vrai recul » pour la situation des femmes. « Il faut être honnête : quand on regarde le football masculin et féminin, ce n’est pas le même sport.
Alors, si on mélangeait les femmes et les hommes, ce serait impossible de jouer contre eux et beaucoup de sportives partiraient », explicite la juriste et membre de l’association féministe radicale L’Amazone. « Pendant des années, le CIO disait qu’il fallait attendre des études pour inclure les femmes cisgenres dans les mêmes disciplines que les hommes. Alors pourquoi les femmes transgenres ne pourraient pas patienter, jusqu’à ce qu’on soit sûr qu’elles n’aient pas d’avantages ? », abonde Linda Blade, qui défend une catégorie « fermée » pour les femmes, et une catégorie « ouverte » pour les hommes, où les athlètes trans seraient acceptés. « La seule affaire qui compte, c’est de savoir si on est né homme ou femme. Parce que nous concourrons avec nos corps », conclut-elle.